Research in Action: Anna Majury

SPO à l’œuvre

12 janv. 2017

Sous la surface : étude des facteurs qui influent sur la qualité de l’eau des puits privés

La principale source d’eau potable du tiers des Ontariennes et des Ontariens (et de 98 % des Ontariennes et des Ontariens vivant en région rurale) provient d’un puits privé. Contrairement aux réseaux municipaux de distribution d’eau potable, les puits privés ne sont pas réglementés et la gestion des puits incombe aux propriétaires. Comme toutes les sources d’eau, l’eau de puits peut devenir contaminée par des bactéries. Le risque augmente au cours des périodes de fortes pluies ou de fonte des neiges, comme au printemps et à l’automne, mais de nombreux facteurs, souvent imprévisibles, peuvent jouer un rôle dans cette contamination.

Comprendre les risques de contamination en ce qui touche l’eau de puits privés représente l’un des principaux intérêts de la Dre Anna Majury, une vétérinaire et microbiologiste clinicienne responsable aux laboratoires de Santé publique Ontario (SPO) de la surveillance des agents pathogènes d’origine hydrique et alimentaire. Au moyen de méthodes moléculaires et de techniques géospatiales de pointe, Dre Majury et ses collaborateurs apportent un nouvel éclairage sur les problèmes de qualité de l’eau des puits privés en Ontario.

Dans le cadre d’une étude récente, l’équipe a épluché des dizaines de milliers de rapports d’analyses d’eau potable provenant de puits privés et réalisées aux laboratoires de SPO. (Les analyses d’eau potable quant à la présence d’une contamination bactérienne, effectuées par SPO, sont gratuites pour les propriétaires de puits privés.)

« L’étude de l’eau potable représente un domaine relativement nouveau pour moi. J’ai donc commencé par analyser les données au premier degré. Tout d’abord, j’ai trouvé intéressant que durant les années pour lesquelles nous avons des données fiables (> 10 ans), la qualité de l’eau, selon les données regroupées, semblait clairement inchangée. En effet, entre 5 et 40 % de tous les puits dont l’eau a été analysée présentaient une contamination bactérienne plus ou moins élevée, année après année, sans que cela ne fasse l’objet d’études approfondies, même dix ans après l’affaire Walkerton. Nous voulions étudier attentivement ces données, non seulement par soumissions, mais en fonction des puits individuels de manière à évaluer le lien possible entre l’emplacement géographique et la qualité de l’eau. En procédant de cette façon, nous avons découvert que certaines régions géographiques présentaient un risque élevé de contamination de l’eau de puits par E. coli, le micro-organisme qui sert actuellement d’indicateur fécal standard pour l’évaluation de la qualité de l’eau potable. Et bien sûr, où il y a des fèces, il y a risque de propagation d’agents pathogènes, comme les norovirus ou l’E. coli producteur de toxine de Shiga (ECTS) », explique Dre Majury.

Son équipe s’est servie d’une technologie de cartographie par ordinateur ainsi que d’autres outils statistiques pour étudier plus de 90 000 rapports d’analyses de qualité de l’eau de puits individuels et portant sur une période de cinq ans dans le sud-est de l’Ontario, ainsi que 120 000 autres rapports contenant des données sur tout le sud de l’Ontario.

« Nous avons découvert quatre principales régions où les puits présentaient un risque accru de 1,5 à 10 fois de contamination par E. coli », ajoute Dre Majury, auteure principale de l’étude publiée dans la revue Geospatial Health.

Southern Ontario map of clusters at 50% maximum population size.

Figure 1 Carte du sud de l’Ontario indiquant la présence de grappes à 50 % de la taille maximale de la population. Les chiffres indiquent des grappes individuelles. Les grappes 5 et 6, bien qu’indiquées, n’étaient pas significatives.

Qu’est-ce qui explique la présence de ces régions à risque élevé? Dre Majury croit que de nombreux facteurs seraient en jeu, dont l’hydrogéologie de la région. Par exemple, on observe souvent un socle rocheux paléozoïque (calcaire) dans plusieurs des régions à risque élevé, surtout près des Grands Lacs. Le calcaire se fissure facilement, ce qui permet aux contaminants de voyager assez facilement à travers la roche et de parcourir de grandes distances. De plus, les régions en question, parce qu’elles offrent un accès à l’eau, ont été parmi les premières à être habitées. Par conséquent, les puits, en activité ou abandonnés, sont vieux et ne présentent peut-être pas la même intégrité que les puits plus récents. Les autres facteurs qui peuvent influer sont, entre autres, l’utilisation du territoire, les installations septiques, la terre de couverture, la densité de la population et le statut socioéconomique. Les travaux actuels en laboratoire de la Dre Majury et de son équipe portent sur ces facteurs ainsi que sur d’autres facteurs qui sont étudiés d’un point de vue géographique, dans le but de mieux adapter les lignes directrices d’analyse en fonction du risque, par région, et au moyen de modèles de régression pondérés selon la région géographique. Déjà, les bureaux de santé publique utilisent les résultats obtenus pour cibler les propriétaires de puits des régions à risque et pour leur souligner l’importance de faire analyser l’eau de leur puits.

L’une des priorités de la Dre Majury est de déterminer d’où provient la contamination fécale. Au cours d’une deuxième étude, publiée dans la revue Journal of Water and Health, les sources de contamination fécale de plus de 700 échantillons d’eau de puits contaminés par E. coli et prélevés dans le sud-est de l’Ontario ont été analysées. Les résultats obtenus sont surprenants.

« Alors que les bovins sont souvent tenus responsables de la contamination fécale, nous avons découvert que près de la moitié des échantillons d’eau de puits contaminés par E. coli, et prélevés dans la région étudiée, contenaient des marqueurs de contamination fécale humaine, tandis que seulement 13 % des échantillons présentaient des indicateurs de contamination fécale bovine, y compris 11 % qui contenaient des traces de fèces humaines et bovines. »

Southern Ontario map of clusters at 50% maximum population size.

Figure 2 Répartition des sources microbiennes sur l’ensemble du territoire et stratifiée géographiquement en fonction du bureau de santé publique.

Dre Majury avance l’hypothèse que dans d’autres régions de l’Ontario, où les pratiques agricoles sont intensives, les résultats pourraient différer. La prochaine étude que la Dre Majury réalisera portera sur la détermination, dans de nombreuses régions agricoles, des sources de contamination fécale de l’eau potable de puits.

« Si nous arrivons à déterminer l’origine de la contamination de l’eau de puits, que la contamination soit de source humaine, bovine ou de nature animale autre, y compris les espèces sauvages, nous pourrions alors émettre des hypothèses quant aux risques potentiels pour la santé des consommateurs de cette eau de puits. De plus, nous pourrions orienter les ressources et les interventions de santé publique pour réduire les risques en question. Par exemple, si le risque est principalement lié à des sources humaines, comme les fosses septiques, des mesures peuvent être mises en place pour régler le problème, y compris l’évaluation du système en soi ou le relais de l’information aux responsables des politiques et peut-être une modification de ces politiques. »

Un des obstacles majeurs à une bonne compréhension de la qualité de l’eau de puits dans la province est que les propriétaires de puits ne soumettent pas assez souvent d’échantillons pour analyse.

« Je crois que les gens sont pleins de bonnes intentions, mais ils ont tendance à oublier et l’affaire Walkerton est survenue il y a quand même de nombreuses années », constate Dre Majury. « Étant donné que les propriétaires de puits ne soumettent pas d’échantillons assez souvent, ils ne sont pas bien informés quant à la qualité de l’eau de leur puits. Par conséquent, ils pourraient consommer une eau qui présente une contamination fécale et qui pourrait les rendre malades. Cependant, peu de mesures sont prises actuellement pour surveiller les éclosions ou les infections liées à l’eau, non seulement Ontario, mais presque partout au Canada. Nous travaillons à corriger la situation dans la province, soit en améliorant les analyses et la collecte de données au moment de l’analyse. »

Toutefois, il pourrait se révéler ardu de modifier les comportements individuels. Par le passé, SPO recommandait de faire analyser l’eau de puits au moins trois fois par année, chaque prélèvement réalisé à au moins trois semaines d’intervalle, pour vérifier la présence de bactéries (et jusqu’à ce que trois échantillons « propres » soient obtenus). Cependant, d’après les données de recherche de la Dre Majury, la plupart des propriétaires de puits privés ne respectent pas cette recommandation. Après étude des données d’analyses de la qualité de l’eau de puits obtenues sur une période de cinq ans et dont les échantillons d’eau ont été prélevés dans le sud est de l’Ontario, l’équipe de SPO a découvert que seulement 11 à12 % des propriétaires de puits avaient respecté les lignes directrices en matière d’analyse de l’eau potable au cours d’une année, et qu’aussi peu que 0,3 % des propriétaires de puits les avaient respectées chaque année durant la période de cinq ans. Ces lignes directrices ne sont plus approuvées par SPO, et le travail de modélisation actuel, mentionné ci-dessus, a pour but de faciliter l’adaptation des recommandations en matière d’analyses au puits en particulier, en fonction d’une évaluation appropriée du risque.

Map of study region showing unique properties separated by the number of years of private well water submissions from each property.

Figure 3 Carte de la région étudiée représentant des propriétés individuelles selon le nombre d’années où les propriétaires ont soumis des échantillons d’eau de puits privés pour analyse (1 [rouge] indiquant que des échantillons ont été soumis durant une année pendant la période de 2008 à 2012, et 5 [vert foncé] indiquant que des échantillons ont été soumis durant les cinq années de cette même période).

Grâce à ses collaborateurs à SPO, à l’Université Queen’s, au sein de différents bureaux de santé publique ainsi qu’à d’autres collaborateurs, la Dre Majury apporte une rare diversité d’expériences à ses recherches. Étant une vétérinaire et une microbiologiste clinicienne, cela lui permet d’apporter un angle unique à son travail dans le domaine de la santé environnementale, angle qui pourrait être moins intuitif pour certains.

« Je me considère comme une praticienne de l’approche "Une seule santé" avec une attention particulière au continuum de la santé humaine-animale-environnementale. Je possède une compréhension théorique, mais également très pratique et fondée sur l’expérience. J’aime travailler sur des projets qui portent sur des questions de santé importantes, étudiées d’un point de vue global, et qui permettent d’améliorer la pratique, en temps réel. »

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Mis à jour le 12 janv. 2017